Les projets de développement urbain à venir en Inde : logements, métros, villes nouvelles et fronts d’eau

Publié le et rédigé par Cyril Jarnias

L’urbanisation de l’Inde entre dans une phase décisive. D’ici 2050, près d’un Indien sur deux devrait vivre en ville, et les centres urbains sont appelés à générer 70 % des nouveaux emplois et plus de 70 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Plus de la moitié des infrastructures urbaines nécessaires à l’horizon 2050 n’existent pas encore. Derrière ces chiffres se dessine une réalité très concrète : l’Inde est en train de rebâtir ses villes tout en les inventant à neuf.

Bon à savoir :

Le pays connaît une accélération sans précédent de grands projets urbains (logement, transports, aménagements fluviaux, nouvelles capitales). Cependant, cette métamorphose est confrontée à des défis majeurs : pression sur le foncier, creusement des inégalités, exposition aux risques climatiques, contraintes financières et une gouvernance souvent fragmentée.

Cet article propose un tour d’horizon structuré de ces projets de développement urbain à venir en Inde en s’appuyant sur les données et rapports récents, pour comprendre ce qui se construit, comment, et pour qui.

Loger une Inde urbaine en pleine expansion

Le logement est le nerf de la guerre urbaine indienne. Les projections sont vertigineuses : plus de 144 millions de logements supplémentaires seront nécessaires d’ici 2070. Dans un pays où près de la moitié de la population urbaine vit déjà dans des quartiers informels, la priorité affichée est claire : rendre le logement plus abordable et plus sûr.

Pradhan Mantri Awas Yojana et « Housing for All »

Au cœur de cette stratégie se trouve le programme Pradhan Mantri Awas Yojana (PMAY), déclinaison opérationnelle de l’ambition « Housing for All ». Lancé en 2015 et désormais prolongé par une phase dite PMAY 2.0, il repose sur deux grands volets : PMAY-Urban (PMAY-U) pour les villes, PMAY-Gramin (PMAY-G) pour les campagnes.

Pour la seule composante urbaine, l’objectif initial était de construire 10 millions de logements (1 crore) pour des ménages à faibles revenus. Le programme global visait 20 millions de logements urbains et 30 millions de logements ruraux à l’horizon 2022. La cible a été ensuite reconfigurée et prolongée, avec PMAY 2.0 qui ambitionne 10 millions de nouveaux logements urbains et 20 millions en zone rurale sur cinq ans.

Les principaux objectifs chiffrés liés au logement abordable

Le tableau présente une synthèse des objectifs quantifiés récents en matière de logement abordable.

Programme / composanteObjectif principal
Housing for All (vision globale)20 millions de logements abordables
PMAY (phase initiale)20 M urbains + 30 M ruraux
PMAY-U (cible spécifique villes)10 M logements (1 crore)
PMAY-G (rural)20 M logements (2 crores) d’ici 2029
PMAY 2.0 (nouvelle phase)10 M urbains + 20 M ruraux sur 5 ans

Au 31 mars 2022, plus de 12,2 millions de logements avaient été sanctionnés sous PMAY-U, dont 10,4 millions effectivement lancés en construction et environ 6,3 millions achevés. Face aux retards, la mission a été prolongée jusqu’à la fin de 2024 pour finaliser les unités déjà approuvées.

Quatre piliers et des aides ciblées

PMAY se décline en quatre grands « verticaux » qui structurent les projets à venir :

la construction dirigée par le bénéficiaire (Beneficiary-Led Construction, BLC)

le logement abordable en partenariat (Affordable Housing in Partnership, AHP)

la réhabilitation in situ des bidonvilles (In-Situ Slum Redevelopment, ISSR)

le crédit subventionné (Credit Linked Subsidy Scheme, CLSS)

À ces composantes s’ajoute le sous-schéma des Affordable Rental Housing Complexes (ARHCs), pensé pour les migrants urbains, les travailleurs industriels et les ménages du secteur informel, souvent exclus de l’accession à la propriété.

Les aides financières sont calibrées pour réduire drastiquement le coût pour les ménages des catégories économiquement faibles (EWS), des groupes à bas revenus (LIG) et, dans une moindre mesure, des classes moyennes (MIG). Par exemple :

Schéma PMAY-UAide publique par logement (en ₹)Nature de l’aide
In-Situ Slum Redevelopment (ISSR)100 000Aide directe par unité reconstruite
Affordable Housing in Partnership150 000Subvention pour projets en partenariat
Beneficiary-Led Construction (BLC)150 000Subvention pour construction / extension

En parallèle, la CLSS offre une subvention d’intérêts sur les prêts immobiliers, ce qui abaisse le coût total du crédit pour les ménages adhérents. Entre 2018 et 2022, l’enveloppe dédiée à cette subvention a été multipliée par sept, et 2,5 millions de ménages en ont bénéficié, dont 0,6 million issus des classes moyennes.

Attention :

Malgré l’arrêt en 2022 d’un volet crédit spécifique, le programme PMAY 2.0 réintroduit un mécanisme de subvention d’intérêts avec des catégories de bénéficiaires affinées. Il met également un accent renforcé sur le logement durable et les technologies de construction innovantes pour réduire les coûts et les délais.

Un marché sous tension et des limites structurelles

Malgré cet arsenal de programmes, le marché du logement abordable reste sous pression. Dans les huit plus grandes métropoles, la part des logements neufs à moins de 5 millions de roupies a chuté de plus de la moitié en quelques années, passant de 52,4 % de l’offre en 2018 à seulement 17 % en 2025 (données Knight Frank Research).

Astuce :

Les principales causes de la pénurie de logements abordables en Inde sont l’envolée des coûts fonciers, notamment dans les centres-villes comme Mumbai, Delhi, Bengaluru ou Chennai, la fragmentation des titres de propriété, les procédures d’autorisation longues, la difficulté d’accès au financement pour les promoteurs et la hausse du prix des matériaux. Ces facteurs repoussent les projets en périphérie, où les terrains sont moins chers mais où les infrastructures essentielles (eau, assainissement, électricité, transports) manquent souvent.

Cette tension apparaît clairement dans des opérations comme le projet de logements de la Delhi Development Authority à Narela, en grande partie inoccupé faute de connexions suffisantes et de services de transport collectif. Elle a aussi conduit l’État à octroyer un « statut infrastructure » au logement abordable en 2017, afin d’ouvrir droit à des conditions de crédit plus favorables et à des avantages fiscaux pour les promoteurs.

Au-delà des goulots d’étranglement fonciers et administratifs, un reproche revient : l’arsenal public a longtemps privilégié une logique d’accession à la propriété via le marché privé, au détriment d’une politique de location sociale de grande échelle. Le récent National Urban Rental Housing Policy (2021) et la montée en puissance des ARHCs signalent un changement d’orientation, mais la mise en œuvre reste encore balbutiante face à l’ampleur des besoins.

Metros, RRTS et villes orientées vers le transport : recoudre les territoires

Pour une Inde urbaine en expansion rapide, la mobilité est un autre champ de bataille clé. L’enjeu n’est pas seulement de relier plus vite les centres d’emplois, mais aussi de structurer l’urbanisation future autour des transports collectifs, afin de limiter l’étalement urbain, les émissions et les trajets interminables.

Une explosion du réseau de métro

En une décennie, les réseaux de métro se sont déployés à un rythme spectaculaire. L’Inde est passée d’un peu plus de 200 km de lignes en service en 2014 à plus de 1 000 km opérationnels en 2025, dans plus de vingt villes. Le gouvernement affiche clairement l’ambition de doubler encore cette longueur d’ici cinq ans, et de hisser le pays à la deuxième place mondiale en termes de réseau métropolitain.

Le tableau ci-dessous résume l’ampleur des chantiers :

Indicateur national métro / MRTSValeur approximative
Longueur opérationnelle (2025)~1 013 km
Lignes en construction~580–920 km (selon sources)
Lignes approuvées, en attente de travaux~311 km
Réseau proposé, au stade d’étude>1 000 km
Villes avec métro (opérationnel / travaux)>23 villes
Budget annuel métros (2025-26)~₹ 34 800 crores

Des systèmes comme le Delhi Metro, le Namma Metro à Bengaluru, le Chennai Metro ou les nouveaux réseaux de Mumbai, Pune, Nagpur, Surat, Indore ou Agra sont en pleine expansion. Delhi, déjà la plus grande et la plus fréquentée, ajoute plus de 50 km via sa phase 4. Mumbai construit simultanément près de 169 km de lignes. Chennai développe une phase 2 de près de 119 km, avec un budget de plus de 63 000 crores.

11200000

La fréquentation quotidienne des métros dans le pays est passée d’environ 2,8 millions de trajets au milieu des années 2010 à plus de 11,2 millions aujourd’hui.

RRTS et corridors rapides : redessiner les relations ville–région

En parallèle des métros, une nouvelle génération de corridors express régionaux réinvente les liens entre grandes métropoles et villes satellites. Le Delhi–Meerut Regional Rapid Transit System (RRTS) en est la vitrine. Les trains « Namo Bharat » circulent à une vitesse opérationnelle de 160 km/h, une première pour un système urbain et périurbain en Inde.

Exemple :

Le corridor Delhi–Meerut, long de 82 km, est partiellement opérationnel avec plus de 50 km en service, dont le tronçon prioritaire Sahibabad–Duhai Depot. Le réseau s’étend avec deux nouveaux corridors planifiés : une ligne d’environ 199 km vers Alwar (ouverture visée vers 2030) et une autre d’environ 103 km vers Panipat.

Ces systèmes, combinés aux Dedicated Freight Corridors (dont le Western DFC quasiment achevé), reconfigurent le maillage des territoires et créent de nouvelles zones d’urbanisation potentielle le long de ces axes, ce qui renvoie directement à la question centrale du modèle de développement urbain.

Le pari du Transit-Oriented Development

Pour éviter que ces investissements massifs ne se traduisent simplement par une urbanisation désordonnée « près des gares », l’Inde mise sur un modèle : le Transit-Oriented Development (TOD). L’idée est de concentrer densité, emplois, commerces et logements à distance de marche des stations, avec des rues complètes, multimodales, favorables aux piétons et aux cyclistes, pour réduire l’usage de la voiture individuelle.

Une politique nationale TOD a été adoptée en 2017 par le ministère du Logement et des Affaires urbaines. Elle fixe douze grands principes (rues complètes, intégration multimodale, connectivité du dernier kilomètre, diversité de l’offre de logement, etc.) et encourage des outils tels que la capture de la plus-value foncière autour des stations.

Villes Pilotes

Plusieurs villes ont déjà mis en œuvre cette approche innovante, servant de modèles pour son déploiement à plus grande échelle.

Stratégies Urbaines

Ces villes intègrent la démarche dans leur planification et leurs politiques publiques locales.

Initiatives Locales

Des projets concrets sont déployés sur le terrain, impliquant les acteurs et les citoyens.

– à Ahmedabad, des corridors TOD ont été délimités le long du réseau de bus rapides Janmarg, avec une densification et une hausse du coefficient d’occupation des sols (FSI) jusqu’à 4 dans une bande de 200 m ;

– à Delhi, des zones TOD couvrent un rayon de 500 m autour des stations de métro, et jusqu’à 1 km pour les futures lignes régionales ;

– à Pune, une politique TOD adoptée en 2018 encadre plus de 30 km de corridors de métro ;

– des propositions similaires émergent à Chennai, Bengaluru, Kochi, Bhopal, Ranchi ou Bhubaneswar dans le cadre de la Smart Cities Mission.

L’Asian Development Bank consacre une assistance technique de 2,5 millions de dollars pour renforcer les capacités des autorités indiennes sur le TOD et les mécanismes de financement associés comme la capture de la plus-value foncière. Mais les premiers retours soulignent un risque : des projets qui restent « transit-adjacents » (TAD), c’est‑à‑dire situés près du transport sans pour autant modifier la forme urbaine, l’accessibilité pour les plus modestes, ni l’usage réel du transport public.

Villes nouvelles, corridors industriels et grands projets structurants

Au-delà des tissus urbains existants, l’Inde parie sur des villes nouvelles et des corridors industriels pour porter sa croissance et décongestionner les métropoles saturées. Ces initiatives articulent souvent grands projets routiers, ports, zones industrielles et opérations immobilières d’envergure.

Amaravati, laboratoire géant d’une capitale verte

Parmi les projets les plus emblématiques figure la construction d’une capitale entièrement nouvelle : Amaravati, dans l’Andhra Pradesh. Pensée comme une « greenfield city » modèle, « Praja Rajadhani » (capitale du peuple), elle s’étend sur plus de 217 km² entre Vijayawada et Guntur, le long de la rivière Krishna.

Le projet, interrompu pendant cinq ans pour des raisons politiques, a été relancé en 2024, avec un engagement massif des autorités centrales et internationales. La planification a été confiée à un consortium singapourien et au cabinet britannique Foster and Partners, qui s’est inspiré de Lutyens’ New Delhi, d’Amsterdam, de Singapour ou encore de Central Park à New York. Le plan prévoit une ville articulée autour d’une grande colonne verte, divisée en neuf quartiers thématiques (Government City, Justice City, Knowledge City, etc.), ponctuée de 13 places urbaines représentant les districts de l’État.

3.5

Nombre d’habitants prévus d’être accueillis par le projet d’ici 2050.

Le financement repose sur un montage complexe mêlant :

Source de financement pour AmaravatiMontant / caractéristiques principales
Prêt Banque mondiale800 M$ (dont 205 M$ déjà décaissés pour une 1ère phase)
Prêt ADB (phase I 2025–2029)788,8 M$, pour un total estimé à 3,64 Md$
Ligne de crédit HUDCO11 000 crores de ₹
Soutien financier direct du gouvernement central15 000 crores de ₹
Obligation « Amaravati Bonds » (émise en 2018)Montant non précisé, levée sur les marchés domestiques
Potentiel prêt KfW (Allemagne)Environ 5 000 crores de ₹ à l’étude

Les coûts, initialement évalués autour de 51 000 à 52 000 crores de roupies, auraient augmenté de 40 à 45 % après les retards, pour atteindre environ 65 000 crores, en raison de l’inflation et de la dégradation des ouvrages commencés entre 2015 et 2019.

Un élément singulier de ce projet est le recours massif au « Land Pooling Scheme » : près de 27 000 agriculteurs auraient « apporté » environ 33 000 acres de terres agricoles en échange de parcelles urbanisables en ville (par exemple 1 000 yards² de parcelle résidentielle et 450 yards² de parcelle commerciale par acre initial, plus une rente annuelle revalorisée sur dix ans). Cette approche, citée comme un modèle de participation volontaire, a été fortement contestée pendant la période de blocage, lorsque les annuités et pensions de milliers de familles ont été suspendues.

La reprise du chantier, associée à l’annonce de nouveaux bâtiments administratifs (Assemblée, Secrétariat, Haute Cour), de logements pour 5 200 familles et d’investissements publics et privés totalisant près de 1 lakh crore de roupies, alimente déjà une remontée des prix fonciers dans la région d’Amaravati–Guntur : les terrains construits se négocient en moyenne autour de 4 000 ₹/pied², les parcelles agricoles périphériques entre 2 et 3 crores l’acre, et les terres les plus prisées jusqu’à 5–10 crores l’acre.

Bon à savoir :

Amaravati illustre la promesse des villes nouvelles planifiées à grande échelle, mais aussi les risques liés à la discontinuité politique, à la spéculation foncière et à la dépendance à des financements internationaux lourds.

Dholera, GIFT City et les autres villes de nouvelle génération

Amaravati n’est pas un cas isolé. D’autres projets de villes nouvelles et de districts intelligents montrent comment l’Inde cherche à attirer investissements, industries de pointe et services financiers :

Dholera Special Investment Region (Gujarat) : souvent présenté comme le plus grand projet greenfield du pays, avec un aéroport international, un parc solaire de 5 000 MW, une ligne de métro et notamment une usine de semi‑conducteurs Tata de plus de 10 milliards de dollars.

GIFT City (Gujarat International Finance Tec‑City) : quartier d’affaires intelligent sur les rives de la Sabarmati, doté de systèmes de refroidissement urbain centralisés, d’une collecte automatisée des déchets et accueillant plus de 500 entreprises, dont Google et IBM.

– AURIC City (Aurangabad Industrial City, Maharashtra) : ville industrielle planifiée de 10 000 acres, dont 60 % réservés aux activités de production et 40 % aux usages résidentiels et tertiaires ; près de 330 000 emplois y auraient déjà été créés.

– Naya Raipur / Atal Nagar (Chhattisgarh) : nouvelle capitale de l’État, structurée autour de 41 villages dans un plan directeur à l’horizon 2031, avec ceinture verte, réseau de bus rapides (BRTS), aéroport international et parc informatique.

8000

Montant en crores de roupies réservé par la 15e Commission des Finances pour incuber huit nouvelles villes greenfield d’ici mars 2026.

Corridors industriels, autoroutes et intégration des territoires

Les projets de villes nouvelles s’insèrent dans un maillage plus large de corridors industriels, de routes express et d’infrastructures logistiques. Le National Industrial Corridor Development Corporation pilote 11 corridors industriels comprenant 32 nœuds de développement, soutenus par plus de 28 600 crores de financement pour des villes intelligentes le long de ces axes.

Sur le plan routier, le programme Bharatmala Pariyojana prévoit à lui seul près de 35 000 km de nouvelles autoroutes pour sa première phase. Au début 2024, près de 20 000 km avaient déjà été construits, pour un investissement de plus de 4,7 lakh crores par l’Autorité nationale des autoroutes (NHAI). En parallèle, le Delhi–Mumbai Expressway (1 386 km) doit réduire presque de moitié le temps de trajet entre les deux métropoles lorsqu’il sera pleinement achevé, tandis que des initiatives comme Digital Highways posent des milliers de kilomètres de fibre optique le long des routes pour soutenir les futures villes intelligentes.

L’ensemble de ces projets conditionne largement où et comment la prochaine vague d’urbanisation prendra forme : zones logistiques multimodales, villes satellites, zones industrielles connectées à des ports comme Vadhavan (projet de port en eau profonde à plus de 76 000 crores, visé à l’horizon 2030), ou à des parcs d’énergie renouvelable géants comme celui de Khavda (Gujarat), appelé à produire près de 473 millions d’unités d’électricité dès sa première année.

Fronts d’eau urbains : vitrine, loisirs et controverses écologiques

Un autre mouvement puissant de la transformation urbaine indienne est la reconquête des fronts d’eau : rives de rivières, de lacs ou de canaux, transformés en promenades, parcs, quartiers résidentiels et attractions touristiques. Le Sabarmati Riverfront à Ahmedabad a servi de modèle à une vague de projets similaires dans tout le pays.

River Cities Alliance et multiplication des projets

Pour coordonner cette tendance, le gouvernement central a lancé en 2021 la River Cities Alliance, une initiative conjointe des ministères de l’Eau et du Logement/Affaires urbaines. Partie avec une trentaine de villes membres, elle en regroupe désormais plus de cent et a identifié plus de 140 villes fluviales potentielles pour élaborer des plans de gestion urbaine des rivières (Urban River Management Plans).

En 2025, on recense près de 864 appels d’offres ouverts pour des projets de développement de fronts d’eau, ce qui témoigne de l’intensité des investissements prévus. Un comité national sur la planification urbaine a, de son côté, sélectionné 25 villes pour recevoir des financements spécifiques pour la réhabilitation ou la création de riverfronts.

Sabarmati, Chambal, Brahmapoutre : les nouveaux visages des rivières urbaines

Le Sabarmati Riverfront, à Ahmedabad, est l’exemple le plus cité. Conçu à la fin des années 1990, mis en chantier en 2005 puis ouvert au public à partir de 2012, il couvre environ 11,5 km de rives en cœur de ville. Le projet a permis de récupérer plus de 85 % des berges à des fins d’usage public, avec plus de 20 km de promenades piétonnes, un réseau routier de près de 29 km et une série de parcs, installations sportives et espaces événementiels. Il a aussi largement contribué à la valorisation foncière alentour et à la transformation de l’image de la ville, accueillant même des événements diplomatiques d’envergure.

D’autres villes tentent d’en reproduire – ou d’en adapter – la formule :

Exemple :

À Kota (Rajasthan), le Chambal Riverfront, inauguré en 2023 pour environ 1 400 crores de roupies, a transformé 6 km de berge avec 27 ghats thématiques (dont un ‘Geeta Ghat’ présentant 700 versets), des parcs et des équipements culturels, attirant près de 10 000 visiteurs quotidiens. À Coimbatore (Tamil Nadu), la réhabilitation du lac Valankulam, ancienne décharge, a créé un espace public multifonctionnel avec amphithéâtres, espaces de travail et pistes cyclables, doublant presque la surface d’espace public par habitant. À Guwahati (Assam), un front de 1,2 km sur le Brahmapoutre, d’un coût de près de 3,7 milliards de roupies, est en finalisation avec une promenade, une aire de jeux, un large boulevard et sept portes d’entrée thématiques.

Ces projets ont des retombées économiques immédiates : hausse des prix immobiliers, afflux touristique, création de nouvelles polarités urbaines. À Indore ou Nashik, la réhabilitation des berges de la Kahn ou de la Godavari a fait grimper les prix du foncier riverain d’au moins 40 %, parfois plus, tout en améliorant la qualité environnementale grâce au désenvasement, à la dépoldérisation des berges bétonnées et à la plantation d’espèces indigènes.

Une écologie fluviale sous pression

Cette ruée vers les fronts d’eau n’est pas sans controverses. De nombreux experts environnementalistes dénoncent des projets qui, en s’inspirant de modèles européens pour des rivières à débit régulier, s’accommodent mal de la nature fortement saisonnière des fleuves indiens soumis aux moussons.

Les critiques pointent notamment :

Attention :

Les projets d’aménagement de berges et de canaux en Inde entraînent la destruction d’habitats aquatiques, comme à Varanasi où un canal a endommagé un sanctuaire de tortues. Ils augmentent aussi les risques d’inondation en rétrécissant les lits des rivières, comme observé à Kota sur le Chambal Riverfront. Enfin, ils se poursuivent parfois dans des zones écologiquement sensibles, comme le sanctuaire du dauphin du Gange à Bhagalpur, malgré les réglementations.

Plus largement, certains dénoncent une approche « cosmétique » centrée sur l’esthétique, la fréquentation touristique et la valorisation foncière, au détriment des besoins des populations riveraines pauvres, des pêcheurs et de la « santé » à long terme des cours d’eau. L’idée de reconnaître aux rivières une personnalité juridique – comme l’a tenté brièvement la Haute Cour de l’Uttarakhand pour le Gange et la Yamuna en 2017, avant que la décision ne soit suspendue – s’inscrit dans ce débat.

Villes intelligentes, résilience climatique et patrimoine : les nouveaux cadres d’action

Au-delà des projets sectoriels, l’Inde a multiplié ces dernières années les cadres, missions et outils pour guider la transformation de ses villes : Smart Cities Mission, Atal Mission for Rejuvenation and Urban Transformation (AMRUT), ClimateSmart Cities Assessment Framework, HRIDAY pour les villes patrimoniales, ou encore de nombreux partenariats internationaux.

Smart Cities Mission : bilan et suites possibles

Lancée en 2015 et clôturée officiellement en 2025, la Smart Cities Mission a servi de laboratoire à grande échelle pour la modernisation de 100 villes autour d’axes comme les centres de commandement intégrés (ICCC), les routes « intelligentes », la gestion connectée de l’eau et des déchets, les espaces publics réaménagés ou la valorisation du patrimoine.

Au total, plus de 8 000 projets multisectoriels, pour un investissement d’environ 1,6 lakh crores, ont été lancés. À l’été 2025, plus de 7 600 projets étaient achevés et la quasi-totalité des financements centraux (environ 47 600 crores) avaient été débloqués. Des villes comme Pune, Surat, Vadodara, Varanasi ou Coimbatore ont achevé l’intégralité de leurs projets, tandis que la plupart des autres en ont réalisé plus de 90 %.

Les réalisations concrètes sont nombreuses :

Infrastructures et services urbains déployés

Synthèse des principaux aménagements et équipements mis en place dans le cadre du projet de ville intelligente, visant à améliorer la sécurité, la mobilité, l’éducation, la santé et l’environnement.

Sécurité et gestion de crise

Déploiement de centres de commande centralisés dans 100 villes, utilisés comme « war rooms » durant la pandémie, complété par plus de 84 000 caméras de vidéosurveillance, des milliers de bornes d’appel d’urgence et des systèmes de sonorisation urbaine.

Mobilité durable

Plus de 1 700 km de routes réaménagées, 700 km de pistes cyclables, avec un parc complémentaire de 23 000 vélos et 1 500 bus ajoutés à l’offre de transport.

Éducation et santé numériques

Équipement de près de 9 500 salles de classe « intelligentes » et création de 41 bibliothèques numériques. Dans le secteur de la santé, déploiement de 172 centres e‑clinics et 152 « health ATMs ».

Patrimoine et espaces publics

Réalisation de plus de 1 300 projets d’espaces publics, incluant 318 km d’aménagements de front d’eau, et conservation de 484 monuments historiques répartis dans 55 villes.

Gestion et réutilisation des eaux

Mise en place de capacités supplémentaires de traitement des eaux usées dépassant 1 300 MLD, avec environ la moitié de cette eau traitée étant réutilisée.

Des évaluations montrent des effets mesurables : baisse moyenne de plus de 23 % des particules PM10 dans l’air entre 2018 et 2024 dans les villes du programme, diminution de la criminalité de près de 27 % dans les États ayant dépensé plus de 80 % des fonds, et augmentation notable de la scolarisation lorsque les salles de classe connectées sont bien utilisées.

Mais les critiques sont tout aussi nettes. Une part significative des projets a connu des retards, avec des retenderings multiples, des blocages fonciers et un recours finalement faible aux partenariats public-privé malgré des ambitions initiales (seulement 6 % environ du financement total via PPP, au lieu de 21 % escomptés). Le modèle de société de projet (SPV) a parfois marginalisé les municipalités, rendant la gouvernance plus opaque. Et certains projets « terminés », comme à Agra, se sont révélés sous-utilisés (toilettes intelligentes fermées, salles numériques à l’abandon).

Ces enseignements pèseront sur les futures politiques urbaines, y compris une nouvelle génération potentielle de programmes nationaux. Entre‑temps, d’autres cadres plus ciblés prennent le relais.

Villes climato‑intelligentes et évaluation de la résilience

Confrontée à une forte exposition aux risques climatiques – l’Inde figure parmi les pays les plus touchés au monde –, l’urbanisation à venir doit intégrer la résilience et la neutralité carbone. Des études menées par la Banque mondiale montrent qu’un investissement de plus de 2,4 billions de dollars sera nécessaire d’ici 2050 dans des infrastructures urbaines résilientes et bas carbone, avec à la clé des bénéfices potentiels énormes : plus de 130 000 vies épargnées face à la chaleur extrême d’ici 2050, et des dizaines de milliards de dollars de pertes annuelles évitées face aux inondations urbaines.

Outils d’accompagnement pour les villes

Plusieurs outils ont été développés pour guider et soutenir les villes dans leurs démarches.

Cadres de référence

Des cadres méthodologiques et des référentiels pour structurer les projets urbains et assurer leur cohérence.

Plateformes d’échange

Des espaces de partage d’expériences et de bonnes pratiques entre collectivités.

Outils d’évaluation

Des méthodologies et indicateurs pour mesurer les progrès et l’impact des actions mises en œuvre.

Guides pratiques

Des ressources opérationnelles et des fiches techniques pour la mise en œuvre concrète.

– le ClimateSmart Cities Assessment Framework (CSCAF), lancé en 2019 par MoHUA avec l’appui du gouvernement fédéral allemand, qui évalue les villes sur 28 indicateurs couvrant l’énergie, la planification, la biodiversité, la mobilité, l’eau et les déchets ; plus de 100 villes ont déjà été évaluées, et l’objectif est d’en couvrir 500 ;

– la création en 2021, par le National Institute of Urban Affairs, d’un Climate Centre for Cities (C‑Cube), dédié à l’intégration du climat dans la planification urbaine ;

– des cadres comme le Climate Hazard and Vulnerability Assessment (CHVA), développés par WRI India pour cartographier les risques climatiques intra‑urbains et concevoir des plans d’action.

Exemple :

Plusieurs métropoles indiennes, avec le soutien d’organisations comme WRI India, C40 ou la Vasudha Foundation, ont lancé des Climate Action Plans. C’est le cas de Mumbai (qui a publié un budget climat), Bengaluru, Chennai, Kolkata, ainsi que de villes moyennes comme Latur ou Nashik. Ces diagnostics ont des retombées concrètes : à Mumbai, l’identification des zones à risque de glissements de terrain, touchant surtout les quartiers informels, a mené à des formations de préparation pour les communautés concernées.

Patrimoine et renouveau des cœurs historiques

Un autre volet, plus discret mais essentiel pour de nombreuses villes, concerne les espaces historiques. Le programme HRIDAY (National Heritage City Development and Augmentation Yojana), lancé en 2015, a soutenu des projets d’infrastructures et de services dans 13 villes patrimoniales comme Varanasi, Mathura, Ajmer, Dwarka, Badami, Warangal, Amaravati ou Velankanni, avec un budget total de 500 crores financé entièrement par le gouvernement central.

Ces actions ont permis d’améliorer les ghats de Varanasi, de développer des parcours piétons à Mathura et Vrindavan, de réhabiliter les abords du temple de Brahma à Pushkar, de requalifier des rues historiques à Warangal ou d’intégrer davantage les sites bouddhiques d’Amaravati à la ville nouvelle en construction. Si HRIDAY a officiellement pris fin et été absorbé par d’autres programmes, il a contribué à diffuser des méthodes de planification intégrant patrimoine, mobilité douce, services urbains et tourisme.

Parallèlement, des projets ambitieux de reconversion du bâti ancien, comme la requalification de Bhendi Bazaar à Mumbai (remplacement de 250 immeubles vétustes par 11 tours modernes tout en relogeant gratuitement plus de 3 000 familles) ou la transformation d’anciennes usines en lieux culturels à Vadodara, illustrent une autre facette des transformations urbaines à venir : densifier sans effacer, réutiliser plutôt que démolir.

Financer la ville de demain : PPP, obligations, fiscalité locale

Tous ces projets – logements, métros, fronts d’eau, villes nouvelles, corridors industriels – posent une question majeure : comment les financer ? Le gouvernement indien a construit au fil du temps un écosystème sophistiqué de financement des infrastructures, articulant dépenses publiques directes, partenariats public‑privé (PPP), instruments de dette spécifiques et mesures d’incitation.

L’arsenal comprend :

Programmes et institutions de financement des infrastructures en Inde

Principaux mécanismes et entités publiques mis en place par l’Inde pour mobiliser des investissements massifs dans le développement des infrastructures.

National Infrastructure Pipeline (NIP)

Lancé en 2019, ce programme prévoit environ 111 000 milliards de roupies d’investissement entre 2019-20 et 2024-25, avec près de la moitié du financement provenant du secteur privé.

National Monetization Pipeline (NMP)

Annoncée en 2021, cette initiative vise à valoriser des actifs publics existants (routes, ports, aéroports…) pour générer des fonds destinés à de nouveaux investissements.

Dispositifs de soutien aux PPP

Incluent le Viability Gap Funding (subvention couvrant jusqu’à 20-30% du coût) et l’India Infrastructure Project Development Fund (finance jusqu’à 75% des coûts de préparation de projet).

Institutions financières dédiées

Réseau d’entités spécialisées telles que la HUDCO, l’IIFCL et un appareil complet de comités d’examen des PPP au niveau national.

Au total, plus de 1 200 projets d’infrastructures urbaines et nationales ont été portés en PPP depuis les années 1990, pour un investissement cumulé de près de 25 000 milliards de roupies. Cependant, ces montages s’accompagnent aussi d’un taux non négligeable de renégociation et d’annulations, notamment dans les secteurs de l’eau et des déchets, où les risques politiques et sociaux sont importants.

Bon à savoir :

Les finances municipales en Inde sont fragiles, avec des recettes fiscales locales ne représentant que 0,6 % du PIB. Cette faiblesse, combinée à une forte dépendance aux transferts de l’État central et des États, limite leur capacité d’emprunt et d’investissement. L’avenir du développement urbain dépendra du renforcement de ces finances, de l’amélioration des partenariats public-privé (PPP) et du recours à de nouveaux instruments financiers comme les obligations municipales ou les green bonds.

Conclusion : une décennie décisive pour les villes indiennes

Les projets de développement urbain à venir en Inde dessinent une carte en mouvement permanent : logements abordables à grande échelle, métros et corridors rapides, villes nouvelles comme Amaravati ou Dholera, fronts fluviaux réaménagés, plans climat locaux, corridors industriels, reconversions patrimoniales. Dans le même temps, la Smart Cities Mission, tout en touchant à sa fin, laisse derrière elle un ensemble de pratiques – centres de commande, campagnes pour les mobilités actives, numérique urbain – qui irriguent désormais d’autres programmes.

Cette dynamique se déploie dans un contexte exigeant : explosion de la population urbaine (près d’un milliard d’urbains attendus en 2050), pression foncière extrême dans les grandes métropoles, ambitions climatiques nationales (neutralité carbone à l’horizon 2070, électricité majoritairement renouvelable en 2030), et forte vulnérabilité aux aléas (chaleurs extrêmes, inondations, cyclones).

Bon à savoir :

Pour la prochaine décennie, les enjeux sont doubles : concrétiser les projets de logement pour qu’ils atteignent effectivement les populations vulnérables (ménages précaires, habitants de bidonvilles, migrants, travailleurs informels), et mieux intégrer les politiques sectorielles (logement, transport, climat, patrimoine, industrie) pour développer une vision cohérente de villes plus compactes, mieux reliées, plus vertes et plus inclusives.

Le pari est immense. Mais il est à la mesure d’un constat : selon les estimations, environ 70 % des infrastructures urbaines dont l’Inde aura besoin pour son centenaire d’indépendance en 2047 restent à construire. C’est à travers les projets aujourd’hui sur la table – et ceux qui viendront prolonger cet élan – que se décidera la forme concrète de cette « nouvelle Inde » urbaine.

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A propos de l'auteur
Cyril Jarnias

Cyril Jarnias est un expert indépendant en gestion de patrimoine internationale avec plus de 20 ans d'expérience. Expatrié, il se consacre à aider les particuliers et les chefs d'entreprise à construire, protéger et transmettre leur patrimoine en toute sérénité.

Sur son site cyriljarnias.com, il développe son expertise sur l’immobilier international, la création de société à l’étranger et l’expatriation.

Grâce à son expertise, il offre des conseils avisés pour optimiser la gestion patrimoniale de ses clients. Cyril Jarnias est également reconnu pour ses interventions dans de nombreux médias prestigieux tels que BFM Business, les Français de l’étranger, Le Figaro, Les Echos ou encore Mieux vivre votre argent, où il partage ses connaissances et son savoir-faire en matière de gestion de patrimoine.

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